Voyage au Centre de la Terre
sur Les Ludopathes
Contient : et de (76)(...) Ceci est l'ouvrage original en langue islandaise, ce magnifique idiome, riche et simple à la fois, qui autorise les combinaisons grammaticales les plus variéeset denombreuses modifications de mots ! - Comme l'allemand, insinuai-je avec assez de bonheur. - Oui, répondit mon oncle en haussant les épaules, sans compter que la langue islandaise admet les trois genres comme le grec et décline les noms propres comme le latin ! (...)
L'image de ma petite Virlandaise me rejeta donc, en un instant, du monde des réalités dans celui des chimères, dans celui des souvenirs. Je revis la fidèle compagne de mes travauxet demes plaisirs. Elle m'aidait à ranger chaque jour les précieuses pierres de mon oncle ; elle les étiquetait avec moi. (...)
Or, il me parut que le déjeuner allait faire défaut comme le souper de la veille. Cependant je résolus d'être héroïqueet dene pas céder devant les exigences de la faim. Marthe prenait cela très au sérieux et se désolait, la bonne femme. (...)
Mon oncle, à cette lecture, bondit comme s'il eût inopinément touché une bouteille de Leyde. Il était magnifique d'audace, de joieet deconviction. Il allait et venait ; il prenait sa tête à deux mains ; il déplaçait les sièges ; il empilait ses livres ; il jonglait, c'est à ne pas le croire, avec ses précieuses géodes ; il lançait un coup de poing par-ci, une tape par-là. (...)
Je résolus même de faire bonne figure. Des arguments scientifiques pouvaient seuls arrêter le professeur Lidenbrock ; or, il y en avait,et debons, contre la possibilité d'un pareil voyage. Aller au centre de la terre ! Quelle folie ! Je réservai ma dialectique pour le moment opportun, et je m'occupai du repas. (...)
« Axel, dit-il d'une voix assez douce, tu es un garçon très ingénieux ; tu m'as rendu là un fier service, quand, de guerre lasse, j'allais abandonner cette combinaison. Où me serais-je égaré ? Nul ne peut le savoir ! Je n'oublierai jamais cela, mon garçon,et dela gloire que nous allons acquérir tu auras ta part. » « Allons ! pensai-je, il est de bonne humeur ; le moment est venu de discuter cette gloire. (...)
Sa surface était composée d'une grande quantité de métaux, tels que le potassium, le sodium, qui ont la propriété de s'enflammer au seul contact de l'airet del'eau ; ces métaux prirent feu quand les vapeurs atmosphériques se précipitèrent en pluie sur le sol, et peu à peu, lorsque les eaux pénétrèrent dans les fissures de l'écorce terrestre, elles déterminèrent de nouveaux incendies avec explosions et éruptions. (...)
A force de nous promener sur les rivages verdoyants de la baie au fond de laquelle s'élève la petite ville, de parcourir les bois touffus qui lui donnent l'apparence d'un nid dans un faisceau de branches, d'admirer les villas pourvues chacune de leur petite maison de bain froid, enfin de couriret demaugréer, nous atteignîmes dix heures du soir. Les tourbillons de la fumée de l'Ellenora se développaient dans le ciel ; le pont tremblotait sous les frissonnements de la chaudière ; nous étions à bord et propriétaires de deux couchettes étagées dans l'unique chambre du bateau. (...)
Néanmoins il fallut me lever, me tenir droit et regarder. Ma première leçon de vertige dura une heure. Quand enfin il me fut permis de redescendreet detoucher du pied le pavé solide des rues, j'étais courbaturé. « Nous recommencerons demain », dit mon professeur. (...)
La Valkyrie se tint à une distance raisonnable des côtes, en les prolongeant vers l'ouest, au milieu de nombreux troupeaux de baleineset derequins. Bientôt apparut un immense rocher percé à jour, au travers duquel la mer écumeuse donnait avec furie. (...)
Pas d'arbres, pas de végétation, pour ainsi dire. Partout les arêtes vives des roches volcaniques. Les huttes des Islandais sont faites de terreet detourbe, et leurs murs inclinés en dedans ; elles ressemblent à des toits posés sur le sol. Seulement ces toits sont des prairies relativement fécondes. (...)
répondit le professeur de Reykjawik ; vous voulez parler de ce savant du seizième siècle, à la fois grand naturaliste, grand alchimiste et grand voyageur ? - Précisément. - Une des gloires de la littératureet dela science islandaises ? - Comme vous dites. - Un homme illustre entre tous ? - Je vous l'accorde. (...)
2 La Recherche fut envoyée en 1835 par l'amiral Duperré pour retrouver les traces d'une expédition perdue, celle de M. de Blossevilleet dela Lilloise dont on n'a jamais eu de nouvelles. - Ah ! fit mon oncle, le Sneffels. - Oui, l'un des volcans les plus curieux et dont on visite rarement le cratère. (...)
En effet, le baromètre ordinaire n'eût pas suffi, la pression atmosphérique devant augmenter proportionnellement à notre descente au-dessous de la surface de la terre ; 3° Un chronomètre de Boissonnas jeune de Genève, parfaitement réglé au méridien de Hambourg ; 4° Deux boussoles d'inclinaisonet dedéclinaison ; 5° Une lunette de nuit ; 6° Deux appareils de Ruhmkorff, qui, au moyen d'un courant électrique, donnaient une lumière très portative, sûre et peu encombrante.5 Les armes consistaient en deux carabines de Purdley More et Co,et dedeux revolvers Colt. Pourquoi des armes ? Nous n'avions ni sauvages ni bêtes féroces à redouter, je suppose. (...)
Les outils comprenaient deux pics, deux pioches, une échelle de soie, trois bâtons ferrés, une hache, un marteau, une douzaine de coins et pitons de fer,et delongues cordes à noeuds. Cela ne laissait pas de faire un fort colis, car l'échelle mesurait trois cents pieds de longueur. (...)
Pour compléter la nomenclature exacte de nos articles de voyage, je noterai une pharmacie portative contenant des ciseaux à lames mousses, des attelles pour fracture, une pièce de ruban en fil écru, des bandes et compresses, du sparadrap, une palette pour saignée, toutes choses effrayantes ; de plus, une série de flacons contenant de la dextrine, de l'alcool vulnéraire, de l'acétate de plomb liquide, de l'éther, du vinaigreet del'ammoniaque, toutes drogues d'un emploi peu rassurant ; enfin les matières nécessaires aux appareils de Ruhmkorff. (...)
Mon oncle n'avait eu garde d'oublier la provision de tabac, de poudre de chasse et d'amadou, non plus qu'une ceinture de cuir qu'il portait autour des reins et où se trouvait une suffisante quantité de monnaie d'or, d'argentet depapier. De bonnes chaussures, rendues imperméables par un enduit de goudronet degomme élastique, se trouvaient au nombre de six paires dans le groupe des outils. « Ainsi vêtus, chaussés, équipés, il n'y a aucune raison pour ne pas aller loin », me dit mon oncle. (...)
Le plaisir de courir à cheval à travers un pays inconnu me rendait de facile composition sur le début de l'entreprise. J'étais tout entier au bonheur de l'excursionniste fait de désirset deliberté. Je commençais à prendre mon parti de l'affaire. « D'ailleurs, me disais-je, qu'est-ce que je risque ? (...)
Nous étions destinés à les connaître plus tard ; mais, en consultant la carte d'Olsen, je vis qu'on les évitait en longeant la sinueuse lisière du rivage ; en effet, le grand mouvement plutonique s'est concentré surtout à l'intérieur de l'île ; là les couches horizontales de roches superposées, appelées trapps en langue scandinave, les bandes trachytiques, les éruptions de basalte, de tufset detous les conglomérats volcaniques, les coulées de laveet deporphyre en fusion, ont fait un pays d'une surnaturelle horreur. Je ne me doutais guère alors du spectacle qui nous attendait à la presqu'île du Sneffels, où ces dégâts d'une nature fougueuse forment un formidable chaos. (...)
Je ne m'attendais pas à ce confortable ; seulement, il régnait dans cette maison une forte odeur de poisson sec, de viande macéréeet delait aigre dont mon odorat se trouvait assez mal. Lorsque nous eûmes mis de côté notre harnachement de voyageurs, la voix de l'hôte se fit entendre, qui nous conviait à passer dans la cuisine, seule pièce où l'on fit du feu, même par les plus grands froids. (...)
Le désert se faisait de plus en plus profond ; quelquefois, cependant, une ombre humaine semblait fuir au loin ; si les détours de la route nous rapprochaient inopinément de l'un de ces spectres, j'éprouvais un dégoût soudain à la vue d'une tête gonflée, à peau luisante, dépourvue de cheveux,et deplaies repoussantes que trahissaient les déchirures de misérables haillons. La malheureuse créature ne venait pas tendre sa main déformée ; elle se sauvait, au contraire, mais pas si vite que Hans ne l'eût saluée du « saellvertu » habituel. (...)
Il fallut bientôt traverser plusieurs petits fjords sans importance, et enfin un véritable golfe ; la marée, étale alors, nous permit de passer sans attendreet degagner le hameau d'Alftanes, situé un mille au delà. Le soir, après avoir coupé à gué deux rivières riches en truites et en brochets, l'Alfa et l'Heta, nous fûmes obligés de passer la nuit dans une masure abandonnée, digne d'être hantée par tous les lutins de la mythologie scandinave ; à coup sûr le génie du froid y avait élu domicile, et il fît des siennes pendant toute la nuit. (...)
Si partout ailleurs elle fait de l'art avec ses grandes masses jetées sans ordre, ses cônes à peine ébauchés, ses pyramides imparfaites, avec la bizarre succession de ses lignes, ici, voulant donner l'exemple de la régularité, et précédant les architectes des premiers âges, elle a créé un ordre sévère, que ni les splendeurs de Babylone ni les merveilles de la Grèce n'ont jamais dépassé. J'avais bien entendu parler de la Chaussée dos Géants en Irlande,et dela Grotte de Fingal dans l'une des Hébrides, mais le spectacle d'une substruction basaltique ne s'était pas encore offert à mes regards. (...)
Mon oncle comprit vite à quel genre d'homme il avait affaire ; au lieu d'un brave et digne savant, il trouvait un paysan lourd et grossier ; il résolut donc de commencer au plus tôt sa grande expéditionet dequitter cette cure peu hospitalière. Il ne regardait pas à ses fatigues et résolut d'aller passer quelques jours dans la montagne. (...)
Bientôt nous étions en rase campagne, si l'on peut donner ce nom à un amoncellement immense de déjections volcaniques ; le pays paraissait comme écrasé sous une pluie de pierres énormes, de trapp, de basalte, de granitet detoutes les roches pyroxéniques. Je voyais ça et là des fumerolles monter dans les airs ; ces vapeurs blanches nommées « reykir » en langue islandaise, venaient des sources thermales, et elles indiquaient, par leur violence, l'activité volcanique du sol. (...)
L'Islande, absolument privée de terrain sédimentaire, se compose uniquement de tuf volcanique, c'est-à-dire d'un agglomérat de pierreset deroches d'une texture poreuse. Avant l'existence des volcans, elle était faite d'un massif trappéen, lentement soulevé au-dessus des flots par la poussée des forces centrales. (...)
Puis, l'éruption basaltique épuisée, le volcan, dont la force s'accrut de celle des cratères éteints, donna passage aux laves et à ces tufs de cendreset descories dont j'apercevais les longues coulées éparpillées sur ses flancs comme une chevelure opulente. (...)
A voir la hauteur de la cime du Sneffels, il me semblait impossible qu'on pût l'atteindre de ce côté, si l'angle d'inclinaison des pentes ne se fermait pas. Heureusement, après une heure de fatigueset detours de force, au milieu du vaste tapis de neige développé sur la croupe du volcan, une sorte d'escalier se présenta inopinément, qui simplifia notre ascension. (...)
- Vois », dit mon oncle. Je portai mes regards vers la plaine ; une immense colonne de pierre ponce pulvérisée, de sableet depoussière s'élevait en tournoyant comme une trombe ; le vent la rabattait sur le flanc du Sneffels, auquel nous étions accrochés ; ce rideau opaque étendu devant le soleil produisait une grande ombre jetée sur la montagne. (...)
Mes regards éblouis se baignaient dans la transparente irradiation des rayons solaires, j'oubliais qui j'étais, où j'étais, pour vivre de la vie des elfes ou des sylphes, imaginaires habitants de la mythologie scandinave ; je m'enivrais de la volupté des hauteurs, sans songer aux abîmes dans lesquels ma destinée allait me plonger avant peu. Mais je fus ramené au sentiment de la réalité par l'arrivée du professeuret deHans, qui me rejoignirent au sommet du pic. Mon oncle, se tournant vers l'ouest, m'indiqua de la main une légère vapeur, une brume, une apparence de terre qui dominait la ligne des flots. (...)
Sa profondeur, je l'estimais à deux mille pieds environ. Que l'on juge de l'état d'un pareil récipient, lorsqu'il s'emplissait de tonnerreset deflammes. Le fond de l'entonnoir ne devait pas mesurer plus de cinq cents pieds de tour, de telle sorte que ses pentes assez douces permettaient d'arriver facilement à sa partie inférieure. (...)
Hans et ses compagnons, assis sur des morceaux de lave, le regardaient faire ; ils le prenaient évidemment pour un fou. Tout à coup mon oncle poussa un cri ; je crus qu'il venait de perdre piedet detomber dans l'un des trois gouffres. Mais non. Je l'aperçus, les bras étendus, les jambes écartées, debout devant un roc de granit posé au centre du cratère, comme un énorme piédestal fait pour la statue d'un Pluton. (...)
Hans tira la corde par l'un de ses bouts ; l'autre s'éleva dans l'air ; après avoir dépassé le rocher supérieur, il retomba en raclant les morceaux de pierreset delaves, sorte de pluie, ou mieux, de grêle fort dangereuse. En me penchant au-dessus de notre étroit plateau, je remarquai que le fond du trou était encore invisible. (...)
Nous sommes en plein sol primordial, sol dans lequel s'est produit l'opération chimique des métaux enflammés au contact de l'airet del'eau ; je repousse absolument le système d'une chaleur centrale ; d'ailleurs, nous verrons bien. (...)
» L'obscurité n'était pas encore complète. On ouvrit le sac aux provisions, on mangea et l'on se coucha de son mieux sur un lit de pierreset dedébris de lave. Et quand, étendu sur le dos, j'ouvris les yeux, j'aperçus un point brillant à l'extrémité de ce tube long de trois mille pieds, qui se transformait en une gigantesque lunette. (...)
Les artistes du Moyen Age auraient pu étudier là toutes les formes de cette architecture religieuse qui a l'ogive pour générateur. Un mille plus loin, notre tête se courbait sous les cintres surbaissés du style roman,et degros piliers engagés dans le massif pliaient sous la retombée des voûtes. A de certains endroits, cette disposition faisait place à de basses substructions qui ressemblaient aux ouvrages des castors, et nous nous glissions en rampant à travers d'étroits boyaux. (...)
Mais, loin de là, il ne dit pas un mot, et continua sa route. M'avait-il compris ou non ? Ne voulait-il pas convenir, par amour-propre d'oncleet desavant, qu'il s'était trompé en choisissant le tunnel de l'est, ou tenait-il à reconnaître ce passage jusqu'à son extrémité ? (...)
Mes pieds, habitués au sol dur des laves, foulèrent tout à coup une poussière faite de débris de planteset decoquille. Sur les parois se voyaient distinctement des empreintes de fucuset delycopodes ; le professeur Lidenbrock ne pouvait s'y tromper ; mais il fermait les yeux, j'imagine, et continuait son chemin d'un pas invariable. C'était de l'entêtement poussé hors de toutes limites. (...)
Si, ce temps écoulé, je n'ai pas rencontré l'eau qui nous manque, je te le jure, nous reviendrons à la surface de la terre. » En dépit de mon irritation, je fus ému de ces paroleset dela violence que se faisait mon oncle pour tenir un pareil langage. « Eh bien ! m'écriai-je, qu'il soit fait comme vous le désirez, et que Dieu récompense votre énergie surhumaine. (...)
Le ruisseau courait sans précipitation en murmurant sous nos pieds. Je le comparais à quelque génie familier qui nous guidait à travers la terre,et dela main je caressais la tiède naïade dont les chants accompagnaient nos pas. Ma bonne humeur prenait volontiers une tournure mythologique. (...)
Le 7 août, nos descentes successives nous avaient amenés à une profondeur de trente lieues, c'est-à-dire qu'il y avait sur notre tête trente lieues de rocs, d'océan, de continentset devilles. Nous devions être alors à deux cents lieues de l'Islande. Ce jour-là le tunnel suivait un plan peu incliné. (...)
Nul mot de la langue humaine ne rendrait mes sentiments. J'étais enterré vif, avec la perspective de mourir dans les tortures de la faimet dela soif. Machinalement je promenai mes mains brûlantes sur le sol. Que ce roc me sembla desséché ! (...)
Cet effet d'acoustique très étonnant s'expliquait facilement par les seules lois physiques ; il provenait de la forme du couloiret dela conductibilité de la roche. Il y a bien des exemples de cette propagation de sons non perceptibles aux espaces intermédiaires. (...)
- Alors il faut que je sois fou, car j'aperçois la lumière du jour, j'entends le bruit du vent qui souffleet dela mer qui se brise ! - Ah ! n'est-ce que cela ? - M'expliquerez-vous ? - Je ne t'expliquerai rien, car c'est inexplicable ; mais tu verras et tu comprendras que la science géologique n'a pas encore dit son dernier mot. (...)
A une certaine époque, la terre n'était formée que d'une écorce élastique, soumise à des mouvements alternatifs de hautet debas, en vertu des lois de l'attraction. Il est probable que des affaissements du sol se sont produits, et qu'une partie des terrains sédimentaires a été entraînée au fond des gouffres subitement ouverts. (...)
Quelle force naturelle pouvait produire de telles plantes, et quel devait être l'aspect de la terre aux premiers siècles de sa formation, quand, sous l'action de la chaleuret del'humidité, le règne végétal se développait seul à sa surface ! Le soir arriva, et, ainsi que je l'avais remarqué la veille, l'état lumineux de l'air ne subit aucune diminution. (...)
Ils apparurent sur la terre mille siècles avant l'homme, mais leurs ossements fossiles, retrouvés dans ce calcaire argileux que les Anglais nomment le lias, ont permis de les reconstruire anatomiquementet deconnaître leur colossale conformation. J'ai vu au Muséum de Hambourg le squelette de l'un de ces sauriens qui mesurait trente pieds de longueur. (...)
Le disque éblouissant s'écarte ; il s'approche de Hans, qui le regarde fixement ; de mon oncle, qui se précipite à genoux pour l'éviter ; de moi, pâle et frissonnant sous l'éclat de la lumièreet dela chaleur ; il pirouette près de mon pied, que j'essaie de retirer. Je ne puis y parvenir. Une odeur de gaz nitreux remplit l'atmosphère ; elle pénètre le gosier, les poumons. (...)
Puis il revint vers ces rochers auxquels se heurtaient les lames furieuses, afin de sauver quelques épaves du naufrage. Je ne pouvais parler ; j'étais brisé d'émotionset defatigues ; il me fallut une grande heure pour me remettre. Cependant une pluie diluvienne continuait à tomber, mais avec ce redoublement qui annonce la fin des orages. (...)
Avec lui, je puis calculer la profondeur et savoir quand nous aurons atteint le centre. Sans lui, nous risquerions d'aller au delàet deressortir par les antipodes ! » Cette gaîté était féroce. « Mais la boussole ? demandai-je. - La voici, sur ce rocher, en parfait état, ainsi que le chronomètre et les thermomètres. (...)
Les caisses qui les contenaient étaient alignées sur la grève dans un parfait état de conservation ; la mer les avait respectées pour la plupart, et somme toute, en biscuits, viande salée, genièvre et poissons secs, on pouvait compter encore sur quatre mois de vivres. « Quatre mois ! s'écria le professeur. Nous avons le temps d'alleret derevenir, et avec ce qui restera je veux donner un grand dîner à tous mes collègues du Johannaeum ! (...)
- A calculer exactement, oui, répondit-il ; c'est même impossible, puisque, pendant ces trois jours de tempête, je n'ai pu tenir note de la vitesseet dela direction du radeau ; mais cependant nous pouvons relever notre situation à l'estime. - En effet, la dernière observation a été faite à l'îlot du geyser... - A l'îlot Axel, mon garçon. (...)
» Debout sur le rocher, irrité, menaçant, Otto Lidenbrock, pareil au farouche Ajax, semblait défier les dieux. Mais je jugeai à propos d'interveniret demettre un frein à cette fougue insensée. « Ecoutez-moi, lui dis-je d'un ton ferme. Il y a une limite à toute ambition ici-bas ; il ne faut pas lutter contre l'impossible ; nous sommes mal équipés pour un voyage sur mer ; cinq cents lieues ne se font pas sur un mauvais assemblage de poutres avec une couverture pour voile, un bâton en guise de mât, et contre les vents déchaînés. (...)
Une voile s'y élevait déjà et le vent jouait dans ses plis flottants. Le professeur dit quelques mots au guide, et aussitôt celui-ci d'embarquer les bagageset detout disposer pour le départ. L'atmosphère était assez pure et le vent du nord-ouest tenait bon. (...)
On pouvait marcher une demi-heure avant d'arriver à la paroi de rochers. Nos pieds écrasaient d'innombrables coquillages de toutes formeset detoutes grandeurs, où vécurent les animaux des premières époques. J'apercevais aussi d'énormes carapaces dont le diamètre dépassait souvent quinze pieds. (...)
En maint endroit, des enfoncements ou des soulèvements attestaient une dislocation puissante du massif terrestre. Nous avancions difficilement sur ces cassures de granit, mélangées de silex, de quartzet dedépôts alluvionnaires, lorsqu'un champ, plus qu'un champ, une plaine d'ossements apparut à nos regards. (...)
Le bruit de cette découverte fut grand, non seulement en France, mais en Angleterre et en Allemagne. Plusieurs savants de l'Institut français, entre autres MM. Milne-Edwardset deQuatrefages, prirent l'affaire à coeur, démontrèrent l'incontestable authenticité de l'ossement en question, et se firent les plus ardents défenseurs de ce « procès de la mâchoire », suivant l'expression anglaise. (...)
Nous connaissions tous ces détails de l'affaire, mais nous ignorions que, depuis notre départ, la question avait fait des progrès nouveaux. D'autres mâchoires identiques, quoique appartenant à des individus de types diverset denations différentes, furent trouvées dans les terres meubles et grises de certaines grottes, en France, en Suisse, en Belgique, ainsi que des armes, des ustensiles, des outils, des ossements d'enfants, d'adolescents, d'hommes, de vieillards. (...)
» Le professeur se tut, et j'éclatai en applaudissements unanimes. D'ailleurs mon oncle avait raison,et deplus savants que son neveu eussent été fort empêchés de le combattre. Autre indice. Ce corps fossilisé n'était pas le seul de l'immense ossuaire. (...)
Cette lame est d'acier... » Mon oncle m'arrêta net dans cette route où m'entraînait une divagation nouvelle,et deson ton froid il me dit : « Calme-toi, Axel, et reviens à la raison. Ce poignard est une arme du XVIe siècle, une véritable dague, de celles que les gentilshommes portaient à leur ceinture pour donner le coup de grâce. (...)
Enfin, après trois heures de navigation, c'est-à-dire vers six heures du soir, on atteignait un endroit propice au débarquement. Je sautai à terre, suivi de mon oncleet del'Islandais. Cette traversée ne m'avait pas calmé. Au contraire, je proposai même de brûler « nos vaisseaux », afin de nous couper toute retraite. (...)
Une chance sur mille est toujours une chance, tandis que la mort par la faim ne nous laissait d'espoir dans aucune proportion, si petite qu'elle fût. La pensée me vint de tout dire à mon oncle, de lui montrer à quel dénûment nous étions réduits,et defaire l'exact calcul du temps qui nous restait à vivre. Mais j'eus le courage de me taire. Je voulais lui laisser tout son sang-froid. (...)
Que signifiait un pareil changement ? Jusqu'alors les faits avaient donné raison aux théories de Davyet deLidenbrock ; jusqu'alors des conditions particulières de roches réfractaires, d'électricité, de magnétisme avaient modifié les lois générales de la nature, en nous faisant une température modérée, car la théorie du feu central restait, à mes yeux, la seule vraie, la seule explicable. (...)
L'homme est ainsi fait, que sa santé est un effet purement négatif ; une fois le besoin de manger satisfait, on se figure difficilement les horreurs de la faim ; il faut les éprouver, pour les comprendre. Aussi, au sortir d'un long jeûne, quelques bouchées de biscuitet deviande triomphèrent de nos douleurs passées. Cependant, après ce repas, chacun se laissa aller à ses réflexions. (...)
nous allons être repoussés, expulsés, rejetés, vomis, lancés dans les airs avec les quartiers de rocs, les pluies de cendreset descories, dans un tourbillon de flammes, et c'est ce qui peut nous arriver de plus heureux ! - Oui, répondit le professeur en me regardant par-dessus ses lunettes, car c'est la seule chance que nous ayons de revenir à la surface de la terre ! (...)
Dans ce cas, il fallait se hâter de le dégager au plus vite. Il n'en était rien. La colonne de cendres, de scorieset dedébris pierreux avait elle-même cessé de monter. « Est-ce que l'éruption s'arrêterait ? m'écriai-je. (...)
Nous étions sortis à demi nus du cratère, et l'astre radieux, auquel nous n'avions rien demandé depuis deux mois, se montrait à notre égard prodigue de lumièreet dechaleur et nous versait à flots une splendide irradiation. Quand mes yeux furent accoutumés à cet éclat dont ils avaient perdu l'habitude, je les employai à rectifier les erreurs de mon imagination. (...)
» Au-dessus de notre tête, à cinq cents pieds au plus, s'ouvrait le cratère d'un volcan par lequel s'échappait, de quart d'heure en quart d'heure, avec une très forte détonation, une haute colonne de flammes, mêlée de pierres ponces, de cendreset delaves. Je sentais les convulsions de la montagne qui respirait à la façon des baleines, et rejetait de temps à autre le feu et l'air par ses énormes évents. (...)
« Quelle que soit cette montagne, dit-il enfin, il y fait un peu chaud ; les explosions ne discontinuent pas, et ce ne serait vraiment pas la peine d'être sortis d'une éruption pour recevoir un morceau de roc sur la tête. Descendons, et nous saurons à quoi nous en tenir. D'ailleurs je meurs de faimet desoif. » Décidément le professeur n'était point un esprit contemplatif. Pour mon compte, oubliant le besoin et les fatigues, je serais resté à cette place pendant de longues heures encore, mais il fallut suivre mes compagnons. (...)
Heureusement, après deux heures de marche, une jolie campagne s'offrit à nos regards, entièrement couverte d'oliviers, de grenadierset devignes qui avaient l'air d'appartenir à tout le monde. D'ailleurs, dans notre dénuement, nous n'étions point gens à y regarder de si près. Quelle jouissance ce fut de presser ces fruits savoureux sur nos lèvreset demordre à pleines grappes dans ces vignes vermeilles ! Non loin, dans l'herbe, à l'ombre délicieuse des arbres, je découvris une source d'eau fraîche, où notre figure et nos mains se plongèrent voluptueusement. (...)
Et ce volcan dressé à l'horizon du sud, l'Etna, le farouche Etna lui-même. « Stromboli ! Stromboli ! » répétai-je. Mon oncle m'accompagnait de ses gesteset deses paroles. Nous avions l'air de chanter un choeur ! Ah ! quel voyage ! quel merveilleux voyage ! (...)Jules Verne. Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits ». I - Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Königstrasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg. La bonne Marthe dut se croire fort en retard, car le dîner commençait à peine à chanter sur le fourneau de la cuisine. « Bon, me dis-je, s'il a faim, mon oncle, qui est le plus impatient des ...